Champ & Contre-Champ: La mémoire et l'horizon après Fidel

Champ & Contre-Champ

Fidel Castro s'en va et je retrouve, en faisant du rangement, le jour même de sa disparition, ma carte de presse cubaine. Le quotidien belge communiste, Le Drapeau Rouge, tout un programme, en 1978, m'avait envoyé couvrir le XIème Festival mondial de la jeunesse à La Havane. Cet événement, hautement politique pour le Leader maximo, durait un mois. Finalement, entre un aller-retour de Moscou, où j'étudiais, je suis resté trois mois à Cuba. J'ai pu ainsi découvrir les acquis de la révolution, bien réels, ses systèmes éducatif et de santé, mais aussi son quadrillage politique et policier, par les Comités de Défense de la Révolution, les redoutés CDR, mis en place dans chaque quartier après l'invasion américaine de la Baie des cochons, l'absence totale de liberté d'expression et de déplacement, la répression de toute forme d'opposition au régime, les prisons remplies de "traitres" dissidents, le harcèlement des homosexuels ... En politique internationale, l'alignement servile sur l'Union soviétique n'était un secret pour personne. Bref, un pays socialiste aussi totalitaire que les autres, véritable fiction romantique derrière les figures de proue de Fidel Castro et d'Ernesto Che Guevara. La partie la plus critique de mes articles, que j'envoyais à Bruxelles, fut censurée ou non publiée ... Ma conception humaniste du socialisme, certainement naïve, inspirée à l'époque par le philosophe italien, Antonio Gramsci, et le secrétaire général du parti communiste italien, Enrico Berlinguer, auteurs d'une critique radicale et irréconciliable du modèle stalinien, après un long séjour en Russie et l'expérience cubaine, cette conception en prit évidemment un coup et déboucha sur ma rupture définitive avec toute référence socialiste dite révolutionnaire. Depuis, j'ai beaucoup évolué, car le monde a changé. Mes rêves se sont évanouis, c'est vrai. J'ai choisi le pragmatisme et le réalisme, sans perdre pour autant, je le crois, ma force de révolte et mon espoir d'une société meilleure pour tous, à commencer par les plus fragiles. J'ai la faiblesse de penser que mes idées ont toujours été servies, non par l'insulte, mais par l'argumentation. J'ai toujours été convaincu que ce sont les idées qui doivent débattre entre elles et non les personnes qui doivent se battre entre elles. Pendant ce temps, certains sont restés à l'abri, dans leur camp d'origine, familial ou politique, à gauche comme à droite. C'était et c'est entièrement leur droit. Mais c'est aussi plus confortable, sans grande difficulté sur le plan intellectuel. Je ne renie rien de ce que je fus et j'assume ce que je suis. Pour un certain temps encore, Raoul Castro est désormais seul au pouvoir. Depuis qu'il a remplacé son frère à la tête du parti et de l'Etat cubain, il a montré quelques signes d'ouverture, le plus spectaculaire étant d'avoir renoué une relation diplomatique et commerciale avec le puissant voisin américain. Son obsession n'est évidemment pas la liberté d'aller et venir de ses compatriotes, mais la rentrée massive de devises au travers d'investissements espérés et encouragés. La manne des touristes qui ne vont pas manquer de déferler sur l'île dans les prochains mois et années va l'y aider. Reste que le communisme n'est pas soluble dans la démocratie. Donald Trump va-t-il embrayer dans la politique d'ouverture que son prédécesseur, Barack Obama, a initiée ? A coup sûr, l'inquiétant nouveau président américain prendra d'abord en compte la dimension business du dossier, et ce, avant tout aspect politique et humanitaire. Pas sûr que les droits de l'Homme rentreront dans son logiciel pour orienter sa politique vis-à-vis de Cuba et de sa population. Ainsi va le monde sans Fidel et sans filet ...


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